Cent titres
Zhao Duan


09/09/2021 - 24/10/2021

écrit par Philippe Godin

Le travail de ZHAO Duan intègre avec une grande liberté une multiplicité de médiums - dessin, peinture, vidéo, photographie, installation, performance…dont elle cherche en permanence à renouveler les codes et les supports. Ainsi, la peau devient fréquemment une surface sur laquelle l’artiste peint, en accordant une importance particulière au contact direct et tactile avec le corps. Elle recourt notamment à la technique de l’empreinte pour transférer une image ou une forme recueillie au cours d’une performance sur de nouveaux supports. C’est le cas de la série emblématique des Cent titres qui offre une installation saisissante en témoignage de l’expérience du confinement. Pendant la seconde période des mesures de distanciation sociale en France, ZHAO Duan a invité pendant un mois et demi une centaine de personnes, réalisant une performance aux allures de défi à l’heure où nous étions privés de tout contact avec les autres. Dans un dispositif qui relève pleinement de l’esthétique relationnelle, l’artiste a fait le portrait de chacun de ceux qu’elle recevait en le peignant au creux de leurs mains, puis transféré par empreinte sur plexiglas l’image de ces visages, parcourus ainsi des anfractuosités des plis de peau, et troués d’un blanc en forme de masque à l’endroit concave de la paume. Il en résulte un ensemble imposant de « sans figures », visages masqués qui semblent flotter sans corps, à l’instar de fantômes errant dans l’entre-deux, ni vivants ni morts, ni présents ni absents, véritables figures de l’inquiétante étrangeté.

Les autres séries d’œuvres mettent également en jeu une relation au corps convoquant toute la maîtrise gestuelle de l’artiste à travers une pratique du dessin qui devient le résultat d’une performance, dont le protocole est aussi simple qu’exigeant : « Dessiner un seul motif en répétant, de gauche à droite, de bas en haut, jusqu’à l’usure complète du stylo. »
L’art du dessin manifeste alors la seule ténacité à persister dans l’acte de dessiner jusqu’aux limites du support et du supportable. L’œuvre devient un bloc de durée cristallisée : un mois condensé sur 1 mètre carré ! Les dessins étant parfois travaillés des centaines d’heures témoignent d’une véritable ascèse en forme de méditation à laquelle se contraint l’artiste. La sobriété des matériaux employés (stylo, papier) contribue aussi à revaloriser la pureté du faire artistique. Éloge du poien ; ode à la main aussi ! Car, l’art de ZHAO Duan est une apologie implicite de la manualité qui aurait fait le bonheur des grands apologues de la main : Aristote, Diderot, Riegl, Valéry, etc.

ZHAO Duan reprend, également, à son compte une esthétique de la répétition, dans laquelle une forme simple est reproduite inlassablement. Dans la série des dessins à l’encre, c’est l’unique motif d’un simple nœud – symbole du temps – qui est répété, conférant à la surface dessinée une dimension de tissage à partir d’un même fil continu comme dans la couture. L’espace pictural ainsi créé est un espace de proximité, d’intimité pour le dessinateur et le spectateur qui requiert une vision haptique autant qu’optique. Ici, pas de monde à comprendre ou à interpréter. C’est un univers où il n’y pas de centre ni de sens, mais des parcours concentriques, nomades, etc. Alors que de nombreux artistes de la performance se désintéressent de l’existence même d’une œuvre, ZHAO Duan nous invite à mettre à égalité le geste et l’ouvrage réalisé ; toute performance devant laisser des traces, en sachant comme disait René Char que « seules les traces font rêver. »

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By Philippe Godin

Zhao Duan works with multiple mediums: drawing, painting, video, photography, installation, performance… which she keeps exploring and renewing. Always painting on skin, she gives particular importance to direct and tactile contact with the body.

In her works, she repeatedly uses imprinting techniques to show an image or a shape collected during a performance. Her latest work Cent titres, an impressive installation, represents a documentary piece of lockdown experiences. She created this work under the social distancing measures during the COVID-19 pandemic. Zhao Duan invited one hundred people to her studio when we were not allowed to have contact with others. She portrayed each person she invited by painting their face in the palm of their hands, then transferred the images by pressing their hands on plexiglass, thus traversing the crevices of the skin folds, with white holes in the form of a mask in the hollow parts of the palms. The result is an imposing set of « no face », masked faces which seem to float without a body, like ghosts wandering in the in-between, neither dead nor alive, neither present nor absent, displaying disturbing strangeness.

The other series of her works reveal the relationship between her body and herself, summoning all of the artist's gestural mastery through a practice of drawing which becomes the result of a performance, of which creative process seems simple but demands a lot of time and attention: "Draw a single pattern in repetition, from left to right, from bottom to top, until the pen is worn out. " The art of drawing manifests the only tenacity to persist in the act of drawing to the limits of the medium and the bearable. Her works present a duration: one month is condensed on a paper of 1 square meter! The drawings, sometimes being worked on for hundreds of hours, testify to a real asceticism in the form of meditation to which the artist is forced. The simplicity of the materials (pen, paper) also enhances the purity of artistic making. That is a praise of the poetic; ode of the hands also! Since Zhao Duan’s art is an implicit praise of the dexterity that would have made the great apologues of the hands: Aristotle, Diderot, Riegl, Valéry, etc.


Focused on the aesthetic of repetition, in which a simple form is incessantly reproduced. In the series of ink drawings, the only motif is a simple knot - symbol of time - which is repeated, giving the drawn surface a dimension of weaving from the same continuous thread as in sewing. The pictorial space thus created is a space of proximity, of intimacy for the designer and the spectator which? requires a haptic vision as much as an optical one. There isn’t a world to understand or to interpret here. It is an universe where there is no center or meaning, but concentric, nomadic paths,etc. While many performance artists lose interest in the existence of a work itself, Zhao Duan invites us to see the gestures as important as the final works; any performance must leave traces, as René Char said that "only traces make you dream."