Cosmopool
Julie Navarro

22/06/2023 - 23/09/2023

On hésite, devant les tableaux cinétiques de Julie Navarro. Est-on au bord d’une eau et de ses remous, au ras de ses ondes frémissantes, dans la fluidité d’une nature qui s’écoule ? Face aux débris superbes d’une planète inconnue ? Ou bien, à mille lieux de ces visions d’entrailles liquides et de la quiétude qui s’en dégage, assiste-t-on aux déraillements nerveux d’écrans glitchés, à la folie de leurs pixels broyés ? On cherche, dans ses Vibrations d’eau, ce qu’on voit : d’abord, une sensation aqueuse, composée d’une infinité de gouttes et de vaguelettes, rendue sensibles, n’en déplaise à Leibniz, par l’artiste. Ces toiles qui s’animent, dont les moirures dialoguent avec la lumière, ce sont bien des portions de cosmos. Et le doute s’insinue, l’équivoque nait ; en y regardant mieux, les chatoiements deviennent géométriques, les reflets d’eau s’étirent et se grillagent, les concrétions de matières rappellent des amas de pixels défragmentés ; parmi les teintes, certaines semblent avoir été mêlées à des acides délicatement psyché; on bascule d’une hypnose à l’autre, dans une abstraction non plus organique mais numérique, quelque part entre des Nymphéas post-digitaux et un Tetris iridescent. Demeure, dans le travail de l’artiste, l’énigme de la perception, par laquelle ses Vibrations d’eau en rejoignent d’autres - des vibrations informatiques - ou ce qui miroite dévoile aussi ce qui se décompose ; la nature du chatoiement change, il unit les premières quand il défait les autres. 

La grille -entendre, la moustiquaire- est l’élément matériel au cœur du travail de Julie Navarro. L’artiste en superpose des couches, en aligne ou décale les trous, peint leur surface, dont elle dégage des profondeurs nouvelles, précipitant leur métamorphose. Parce qu’elles constituent une trame, un maillage de lignes qui se croisent, se rencontrent, forment des alvéoles, les moustiquaires ont, pour la plasticienne, une dimension matricielle : tissus de cellules, elles portent en elles une fécondité possible, celle que charrie aussi, à travers leur densité humide et vivante, les tourbières -paysage que Julie Navarro a intensément exploré dans son travail, entre Paris et la Creuse, dont ses œuvres s’imprègnent. Le geste technique, avec humour et humilité, pince à linge, châssis artisanal et herbe creusoise pour support, se métabolise en opération poétique. On regarde à nouveau ces moustiquaires, leurs multiples réincarnations, de leur enfance comme ustensile des hommes à leur existence transformée en fragment de nature et/ou, broderie digitale. 

Les œuvres Vibrations d’eau sont travaillées au corps ; l’artiste creuse la matière pour, in fine, lui conférer une grâce d’objet flottant. Au contraire, la série Echo (Vibrations lumineuses), instantanés du presque invisible, semble être née d’un geste qui a eu lieu seul, sans artiste ni pinceaux, par la simple intervention de la lumière et du désir qu’a eu celle-ci de s’étendre à la surface d’une toile diaphane. L’art de Julie Navarro est spectral en un double sens, en ce qu’il disperse les pigments, en capture, avec une grâce d’oiseau, le rayonnement mobile, ouvert à la disparition ; parce qu’il est à l’affut des présences fantômes, des ombres et des empreintes. Ses œuvres nous enjoignent à accentuer le pouvoir de l’œil -et non à renforcer le visible. Le motif de l’onde y est partout : dans l’eau, dans la lumière, dans la musique et la danse des balls que l’artiste organise. L’onde, propagation d’une perturbation produisant sur son passage une variation réversible des propriétés physiques locales du milieu ; nul doute que l’artiste impulse une vitalité qui se propage, lorsqu’elle réunit, a l’occasion de performances dans les tourbières ou dans ses balls parisiens, des individus inconnus les uns des autres, non familiers du milieu de l’art, et les invite à ‘produire du corps commun’.

Son travail sur le marbre repousse un peu plus loin l’expérimentation sur la puissance de pénétration des ondes : en résidence à la marbrerie Bonnichon et au CRAFT -Porcelaine de Limoges, l’artiste a découpé au laser des pièces de marbre, y a sculpté des formes, lui a injecté de la couleur à l’engobe. Autant de manières de conjurer la pesanteur du matériau, de fendre l’insécable, de transmuer une fonctionnalité prosaïque (marbre au départ destiné aux salles de bains) en rêverie.

Écrit par Mariane de Douhet, 2023 

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We hesitate in front of Julie Navarro's kinetic paintings. Are we at the edge of water and its ripples, close to its trembling waves, in the fluidity of a flowing nature? Facing the splendid debris of an unknown planet? Or, far from these visions of liquid depths and the tranquility they emanate, are we witnessing the nervous derailments of glitched screens, the madness of their crushed pixels? In her Vibrations d’eau, we search for what we see: first, a watery sensation, composed of an infinity of drops and ripples, made sensitive, despite Leibniz's displeasure, by the artist. These animated canvases, whose iridescence interacts with light, are indeed portions of the cosmos. Doubt creeps in, ambiguity arises; upon closer inspection, the shimmering becomes geometric, water reflections stretch and grid, material concretions resemble fragmented pixel clusters; among the hues, some seem to have been mixed with delicately psychedelic acids. We shift from one hypnosis to another, into an abstraction that is no longer organic but digital, somewhere between post-digital Nymphéas and an iridescent Tetris. In the artist's work remains the enigma of perception, through which her Vibrations d’eau intersect with other vibrations - computer vibrations - or what shimmers also reveals what decomposes; the nature of the shimmering changes, uniting the first while undoing the others.

The grid - that is, the mosquito net - is the material element at the heart of Julie Navarro's work. The artist superimposes layers of them, aligns or shifts the holes, paints their surface, from which she unveils new depths, precipitating their metamorphosis. Because they constitute a framework, a mesh of intersecting lines, forming cells, mosquito nets have a matrix dimension for the visual artist: fabrics of cells, they carry within them a potential fertility, one that also conveys, through their humid and living density, the peat bogs - a landscape that Julie Navarro has intensely explored in her work, between Paris and Creuse, which her artworks absorb. The technical gesture, with humor and humility, clothespin, homemade frame, and Creuse grass as support, metabolizes into poetic operation. We look again at these mosquito nets, their multiple reincarnations, from their childhood as tools of humans to their transformed existence as fragments of nature and/or digital embroidery.

The Vibrations d’eau artworks are worked into the body; the artist delves into the material to ultimately bestow it with the grace of a floating object. On the contrary, the Echo series (Luminous Vibrations), snapshots of the almost invisible, seems to have originated from a gesture that occurred on its own, without an artist or brushes, through the simple intervention of light and its desire to spread across the surface of a diaphanous canvas. Julie Navarro's art is spectral in a double sense, dispersing pigments, capturing, with the grace of a bird, the mobile radiation, open to disappearance; because it is on the lookout for ghostly presences, shadows, and imprints. Her artworks urge us to enhance the power of the eye - rather than reinforcing the visible. The motif of the wave is everywhere: in water, in light, in the music and dance of the balls organized by the artist. The wave, the propagation of a disturbance producing a reversible variation of the local physical properties of the medium along its path; there is no doubt that the artist imparts a vitality that spreads, when she brings together, on the occasion of performances in peat bogs or in her Parisian balls, individuals who are unknown to each other, unfamiliar with the art world, and invites them to 'produce a common body.'

Written by Mariane de Douhet, 2023